Data

Date:
16-05-2014
Country:
Canada
Number:
500-09-021377-114
Court:
Cour d'Appel, Province de Québec, District of Montreal
Parties:
Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie

Keywords

LONG-TERM CONTRACTS - CONSTRUCTION CONTRACT - BETWEEN A CANADIAN COMPANY AND A UNITED STATES COMPANY – REFERENCE TO UNIDROIT PRINCIPLES IN SUPPORT OF SOLUTION FOUND UNDER THE APPLICABLE DOMESTIC LAW (QUEBEC LAW)

INCONSISTENT BEHAVIOR – DUTY OF CO-OPERATION - UNEXPECTED DIFFICULTIES ENCOUNTERED BY CONTRACTOR IN COURSE OF PERFORMANCE DUE TO INCONSISTENT BEHAVIOR AND LACK OF CO-OPERATION BY PURCHASER – PURCHASER LIABLE FOR ADDITIONAL COSTS CAUSED TO CONTRACTOR – REFERENCE TO ARTICLE 1.7, 1.8 AND 5.1.3 UNIDROIT PRINCIPLES IN SUPPORT OF SAME CONCLUSION REACHED ON THE BASIS OF GENERAL PRINCIPLE OF GOOD FAITH LAID DOWN IN CIVIL CODE OF QUEBEC

Abstract

A Canadian company and a US company concluded a contract for the construction of a hydroelectric plant in Grand-Mere, Quebec.

During the execution of the work, which lasted four years, the US company faced a number of problems (unavailability of the site areas, cleaning the foundations deeper than expected, etc.), which had significantly increased the costs for the realization of the project. In particular, the work had cost the US company $ 76 million more than the initially estimated value ($ 111 million).

The US company, therefore, sued the Canadian company, claiming compensation for 60 million dollars, as the additional costs were to be attributed to the behaviour of the latter.

The Court of First Instance ordered the Canadian company to compensate the US company over $ 27 million, considering that the first had seriously breached its duty of cooperation which weighed on the contractor as well as on the client. The Court therefore held that the bad faith of the Canadian company in the execution of the contract was so widespread as to be defined "institutional bad faith."

The Canadian company appealed the decision, arguing that its legal representatives had not acted with malice.

The Court of Appeal, however, upheld the decision of first instance, stating that, under the law of Quebec, it was not necessary to act with malice in order to violate the duty of good faith. In particular, the Court held that the Canadian company's conduct was inconsistent with the reasonable expectations of the US company.

In this regard the Court referred to the prohibition of inconsistent behaviour contained in Art. 1.8 of the UNIDROIT Principles, adding that the principle of good faith enshrined in the Civil Code of Quebec was taken up by the UNIDROIT Principles (v. Paul-André Crépeau et Élise Charpentier, Les Principes et UNIDROIT of the Code civil du Québec, valeurs partagées ?, Scarborough, Carswell, 1998; Louise Rolland, "Les Principes et UNIDROIT of the Code civil du Québec: variations et mutations" (2002) 36 RJT 583).

Fulltext

(...)

LE CONTEXTE

[7] En 1997, Hydro-Québec amorce un projet d'aménagement hydroélectrique à Grand-Mère dans le but de remplacer la centrale existante. Il est officiellement lancé en 1998. Hydro-Québec Équipement, une division d'Hydro-Québec, est responsable de la construction de la centrale. Tecsult, une firme de génie-conseil, est chargée de préparer les devis techniques et de fournir une estimation des travaux. Le budget total est d'environ 454 000 000 $ et la date de mise en service est prévue pour 2004.
[8] Les travaux débutent dès le mois de mars 2000 par l'excavation de la paroi rocheuse. Ils sont exécutés par l'entrepreneur Fernand Gilbert ltée (FGL).
[9] L'appel d'offres pour le bétonnage des structures est lancé le 1er août 2000. La soumission de Kiewit est la plus basse à 111 866 991 $. Elle est composée à la fois de prix unitaires et forfaitaires. Il faut souligner qu’Hydro-Québec évalue pour sa part le projet à 110 000 000 $ environ.
[10] Dès janvier 2001, Kiewit commence l'exécution de ses travaux. Elle fait parvenir son programme détaillé d'exécution le 26 janvier 2001. Les problèmes commencent presque immédiatement avec la non-disponibilité des aires de travail et le nettoyage des fondations.
[11] Les faits particuliers, nécessaires à une bonne compréhension du litige, seront repris pour chaque question soulevée par l'appel principal et l'appel incident.

(...)

LES MOYENS D’APPEL

[31] Les appels principal et incident soulèvent les questions suivantes :

Appel principal

1. Faute institutionnelle et mauvaise foi institutionnelle;
2. L’inexécution du contrat comme fondement de la « faute institutionnelle »;
3. La mauvaise foi institutionnelle d’Hydro-Québec dans l’exécution du contrat;
4. Le juge de première instance a-t-il agi comme amiable compositeur?
5. Le juge de première instance a-t-il commis des erreurs déterminantes dans l'évaluation des dommages (appels principal et incident)?

Appel incident

1. Kiewit était-elle tenue à une obligation de résultat quant à la température du béton?
2. Le juge de première instance a-t-il commis une erreur manifeste et dominante en réduisant de 50 % le montant accordé pour deux postes des mesures d'accélération et en refusant un troisième?
3. Le juge de première instance a-t-il erré en n'accordant pas la réclamation de Kiewit pour administration et profits?
4. Le juge de première instance ayant omis de se prononcer sur les frais de financement et la demande relative aux « Guides de la prise d'eau », la Cour devrait-elle les accorder?
5. À compter de quelle date doivent courir les intérêts et l'indemnité additionnelle?

L’ANALYSE

(...)

3. La mauvaise foi institutionnelle d’Hydro-Québec dans l’exécution du contrat

[74] Le juge est d’avis que l’exécution des travaux par Kiewit a été entravée par de nombreux changements demandés par Hydro-Québec et par des difficultés rencontrées par l’entrepreneur qui étaient hors de son contrôle, le tout ayant provoqué des retards dans l’échéancier au contrat et des coûts additionnels. Des grèves et des moyens de pression entrepris par les employés sur le chantier ont également causé des délais et des augmentations de coûts. Pour rattraper les retards, Kiewit a dû prendre des mesures à la demande d’Hydro-Québec qui, de l'avis du juge, ont imposé des coûts supplémentaires[33].
[75] Toujours selon le juge, Hydro-Québec donne à son entrepreneur des assurances, à différents moments pendant l’exécution des travaux, que ses demandes de compensations seront traitées équitablement et que les coûts supplémentaires – outre les avenants réglés au cours des travaux – seront évalués ultérieurement. Pour le juge, les diverses communications envoyées par Hydro-Québec à Kiewit ont permis à cette dernière de croire qu’elle obtiendrait compensation, même si le mécanisme prévu au contrat n'a pas été suivi au bas mot. Kiewit poursuit donc l’exécution des travaux et termine le projet malgré les problèmes encourus[34].
[76] Le juge retient que Kiewit a accepté de bonne foi cet engagement d’Hydro-Québec[35].
[77] Le 29 août 2003, Kiewit remet à Hydro-Québec une première demande détaillée de compensation. Après quelques rencontres entre les parties au début de 2004, Hydro-Québec rejette la demande de son entrepreneur le 1er mars 2004.
[78] Le juge en conclut qu'Hydro-Québec a fait preuve de « mauvaise foi institutionnelle ». En faisant croire à Kiewit qu’elle obtiendrait une compensation équitable sur présentation d’une demande détaillée, et en la refusant par la suite, Hydro-Québec n’a pas agi avec « transparence ». Hydro-Québec a ainsi dérogé à la norme de conduite raisonnable, conforme aux exigences de la bonne foi, qui doit guider les parties dans l’exécution du contrat[36].
[79] Hydro-Québec soutient que cette conclusion repose sur une compréhension erronée des principes juridiques en cause, laquelle a entrainé une appréciation tronquée des faits mis en preuve. Le défaut d'appliquer les clauses contractuelles relatives aux changements du prix a amené le juge à conclure, à tort, qu'Hydro-Québec a abusé de ses droits et a agi de mauvaise foi à l'égard de son cocontractant. Hydro-Québec plaide que ces dispositions contractuelles sont valides et, suivant les enseignements des tribunaux, l'entrepreneur qui ne les respecte pas « se verra débouté de sa réclamation ».
[80] Hydro-Québec ajoute que le juge se serait livré à une espèce d'exercice d'angélisme – confondant, selon elle, la bonne foi avec le « fraternalisme contractuel » incompatible avec la fonction corrective du droit des obligations – en imposant à Hydro-Québec le devoir de mettre les intérêts de Kiewit devant les siens.
[81] La Cour est d'avis que le juge n'a commis aucune erreur de droit justifiant son intervention à cet égard.
[82] Certes, dans le cadre du contrat d'entreprise à forfait, Kiewit a pris en charge les risques liés à l'exécution du contrat et, en principe, elle devait assumer les difficultés d'exécution sans augmentation de prix. Son obligation contractuelle de résultat quant à la date de livraison des travaux lui impose les risques liés aux retards, sauf si ceux-ci résultent d'un cas de force majeure ou de la faute d'Hydro-Québec.
[83] Or, cela ne dispense en rien les parties – le maitre d'œuvre tout comme l'entrepreneur – de respecter la règle selon laquelle la bonne foi doit gouverner leur conduite au moment de l'exécution du contrat (art. 1375 C.c.Q.). Sur ce point, le juge voit juste :
[141] D'une façon générale, les parties reconnaissent qu'elles sont soumises à l'obligation d'agir raisonnablement selon les règles d'équité et de loyauté; d'agir de bonne foi selon l'article 1375 C.c.Q.; elles reconnaissent l'obligation positive de renseignements et l'obligation de collaborer entre elles.
[84] Regardons de plus près le fondement juridique du reproche du juge quant à la « mauvaise foi institutionnelle » dont Hydro-Québec est responsable.
[85] Le juge est d'avis qu’Hydro-Québec a encouragé Kiewit à reporter ses demandes de compensation et a créé chez son entrepreneur de fausses attentes quant à un dédommagement à venir par la suite.
[86] Kiewit ne s'est donc pas conformée à la lettre du contrat – par exemple, elle a accepté d'exécuter des changements « avant d'avoir souscrit à un avenant », contrairement à la clause générale 7F; elle n'a pas envoyé un exposé écrit et détaillé de sa réclamation à Hydro-Québec « le plus tôt possible », contrairement à la clause 19B du contrat. Kiewit a plutôt suivi la suggestion d'Hydro-Québec de présenter ses demandes de compensation après la fin des travaux, en raison de la promesse d'un traitement équitable si elle procédait ainsi.
[87] Bien que sa conclusion sur la mauvaise foi institutionnelle ne se limite pas à ce seul cas de figure, le juge expose en détail l'engagement d'Hydro-Québec de compenser Kiewit pour les coûts engendrés par les moyens de pression des travailleurs sur le chantier. Faisant référence, aux paragraphes [160] et suivants, à une lettre d'un représentant d'Hydro-Québec du 28 juin 2001 dans laquelle cet engagement a été fait, le juge le qualifie d'un exemple parmi d'autres de « "belles paroles" du maître d'œuvre pour faire diversion des problèmes vécus par l'entrepreneur sur le chantier »[37]. Le juge poursuit son analyse ainsi :

(...)

[88] La Cour est d'avis que le juge ne commet aucune erreur de droit en soulignant qu'Hydro-Québec ne pouvait se fier uniquement à la lettre du contrat, mais devait aussi respecter les exigences de la bonne foi dans l'exécution de ses obligations envers son entrepreneur.
[89] Les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. rappellent que les exigences de la bonne foi sont à la base de tout contrat, y compris dans la phase de l'exécution. La rudesse apparente de l'obligation de résultat imposée à l'entrepreneur est atténuée par l’application des règles de la bonne foi au contrat d’entreprise. Comme l’explique l’auteur Sarault, la rigueur dans l'interprétation des engagements contractuels qui dominait l'ancienne jurisprudence n’a plus cours :

(...)

[90] Le juge Forget le souligne dans l’arrêt Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, cela impose au maître d'œuvre la norme de la conduite raisonnable dans l'exercice de ses droits :

(...)

[91] Le juge voit dans les « belles paroles » d'Hydro-Québec, qui s'avéraient vaines, un signe de son manque de collaboration avec Kiewit dans l'exécution du contrat. Sur le plan juridique, ce genre de comportement déraisonnable peut, comme le note le juge, justifier une conclusion que le maître d’œuvre agit de manière non conforme aux exigences de la bonne foi.

[92] En effet, Hydro-Québec ne pouvait causer un préjudice à son entrepreneur en agissant en contradiction avec une attente suscitée dans leurs rapports contractuels, et à laquelle Kiewit s’est fiée. Consacré sous l'égide de la bonne foi dans l'exécution du contrat, ce comportement déraisonnable est reconnu par la doctrine civiliste sous des vocables différents[40] – « confiance légitime trompée », « devoir de cohérence » ou « l'interdiction de se contredire ». Il est également reconnu dans des documents internationaux qui peuvent inspirer à cet égard le droit québécois[41]. Lorsqu’une partie crée de « fausses attentes »[42] chez son cocontractant, et qui agit en conséquence à son désavantage, elle ne peut revenir sur la lettre du contrat sans porter atteinte au devoir de loyauté implicite aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Les professeurs Lluelles et Moore[43] inscrivent ce devoir de ne pas créer de fausses attentes dans les règles portant sur l'exécution du contrat conforme aux exigences de la bonne foi :

(...)

[93] Le juge met ce volet de la bonne foi en application en l’espèce. En tenant Hydro-Québec responsable, il note à diverses reprises comment le maître d’œuvre a créé de fausses attentes chez son entrepreneur qu’une compensation suivrait, et l’a encouragé à poursuivre les travaux :

(...)

[94] Pour le juge, ce comportement déraisonnable interdit à Hydro-Québec de se contredire. Il met en œuvre ainsi l'un des principes qui se rattachent aux exigences de la bonne foi dans l’exécution du contrat et, ce faisant, n’a commis aucune erreur de droit.

[95] Vu sous cet angle, la prétention d'Hydro-Québec que le juge confond l’obligation exécutée conforme à la bonne foi avec le « fraternalisme contractuel » ne convainc pas. Hydro-Québec n’a certes pas tort de dire que la bonne foi n’impose pas un devoir de charité aux parties contractantes les unes envers les autres, mais on ne peut pas dire que le juge lui ordonne de conférer un avantage – une libéralité – à Kiewit. Il prend soin de désigner le comportement qu’il cherche à redresser comme déraisonnable et souligne que ceci est, pour lui, le fait générateur de responsabilités contractuelles. En ce sens, son analyse des exigences de la bonne foi s’inscrit dans la recherche d’une justice corrective – le juge redresse un tort en tenant Hydro-Québec responsable – et non de la justice distributive selon laquelle le but serait d’avantager une partie sur la simple base de sa vulnérabilité[44].

Footnote 41

Le principe a été retenu dans les Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international 2010 dans ses règles portant sur la bonne foi dans les contrats sous le vocable « interdiction de se contredire » : Article 1.8. « Une partie ne peut agir en contradiction avec une attente qu’elle a suscitée chez l’autre partie lorsque cette dernière a cru raisonnablement à cette attente et a agi en conséquence à son désavantage. / A party cannot act inconsistently with an understanding that it has caused the other party to have and upon which that other party reasonably has acted in reliance to its detriment ».
Voir www.unidroit.org/french/principles/contracts/principles2010/integralversionprinciples2010-f.pdf. Sur la communauté de valeurs entre les Principes d’UNIDROIT et la bonne foi consacrée au Code civil du Québec, Paul-André Crépeau et Élise Charpentier, Les Principes d’UNIDROIT et le Code civil du Québec, valeurs partagées?, Scarborough, Carswell, 1998 et Louise Rolland, « Les Principes d'UNIDROIT et le Code civil du Québec : variations et mutations » (2002) 36 R.J.T. 583.}}

Source

http://www.canlii.org}}